Lycée pro : un vrai rôle à jouer !
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[RENCONTRE] une série de portraits et de retour d’expériences pour apporter toute la lumière aux belles initiatives des Profs en transition d’ici et d’ailleurs.
Pour ce nouvel article de notre série [Rencontres], direction le Jura et le village de Saint-Amour ! Rassurez-vous il s’agit bien d’une rencontre pédagogique… avec Clotsinde Perrot, professeur de mathématiques et de sciences physiques en lycée public professionnel.
« Un vrai rôle à jouer ! »
Cela fait maintenant un peu moins de 10 ans que Clotsinde a fait le choix du cœur pour cette région, ce village et ce lycée où elle se sent bien, prémisse essentielle à la construction de soi évidement, de sa vie et de tous les beaux projets qui vont avec.
Petite structure officiant autour du métal, industriel et artisanal de la ferronnerie d’art et de la gravure sur métal, le lycée Ferdinand Fillod est un lieu « où l’on se connaît tous et on fonctionne en pédagogie par projet ». L’établissement compte près de 150 apprenants dont beaucoup ont pu connaître une scolarité au collège parfois difficile. Certains jeunes « ne sont pas bien dans leurs baskets » et la première mission du corps enseignant est de leur redonner confiance et goût d’apprendre en les incluant dans la réalisation de projets et de sorties collectives. Cette rencontre avec l’univers du lycée professionnel et ses enjeux sociaux ont été un vrai coup de cœur pour Clotsinde car « il y a ici un vrai rôle à jouer ! ».
Les années y passent sereinement selon un cheminement bienveillant et rassurant pour les élèves. Les premières semaines sont consacrées à cette « mission première de gain de confiance et de motivation » puis arrivent vite les fêtes de fin d’année où le repas fédère autant de profs en poste que d’anciens, témoignant d’une transmission générationnelle et d’un contexte « familial ». Notons également la visite des anciens élèves aux portes ouvertes pour garder le contact, « raconter leurs vies » et notamment leurs poursuites professionnelles. Car pour un étudiant motivé, il y a dans ces domaines des débouchés rapides. On forme donc dans ce lycée au contour familial de bons professionnels mais aussi, et surtout, des citoyens.
« Je suis enseignante ! »
Former des citoyens, voilà l’une des principales ambitions partagées par l’équipe enseignante et sur laquelle « aucun collègue n’est prêt à lâcher ! ». Car en lycée pro, cet enjeu est prégnant : « on revendique qu’on les forme pour leur métier et on les forme en tant que citoyens, dans les dernières années de formation ».
Sur la partie écocitoyenneté, il y a très peu, comme le constate Clotsinde, de sensibilisation dans la sphère familiale, par exemple au bon sens ou aux gestes de tri. Le milieu rural pallie quelque peu à cette carence car les enfants « grandissent avec le respect des saisons », point d’appui pouvant se révéler précieux pour envisager des projets collectifs plus cossus.
Côté enseignants, à son arrivée dans la structure, Clotsinde ne trouve rien d’officiel d’engagé quant à l’environnement. Chacun vivait cela individuellement, selon ses convictions personnelles. Le constat des déchets générés par la vie de l’établissement et le nombre de mégots jetés par terre finissent par décider Clotsinde à agir. Son constat est sans appel : « je suis enseignante, je ne peux pas en vouloir aux élèves s’ils ne sont pas assez sensibilisés à ces enjeux, c’est à nous, enseignants de former et d’expliquer ! ». Si au départ, elle ne sait pas trop comment se lancer, Clotsinde sait par avance qu’il lui faudra du temps, un statut « officiel » et la recherche de l’implication de tous les acteurs.
Photos ci-dessous : fabrication “maison” de cendriers et création de papier recyclé.
« Ne pas tout porter à moi toute seule »
Clotsinde profite notamment d’une réforme autour de l’accompagnement personnel des élèves pour disposer d’heures validées par le proviseur, autour de ce projet naissant : cela prendra la forme d’une classe écocitoyenne. Le démarrage est programmé en septembre 2019 avec une classe de seconde. Il durera trois ans, temps de la scolarité de ses élèves qui le mèneront donc de bout en bout.
Dès le lancement, Clotsinde est attentive aux écueils qui gravitent autour des actions de ce type. Elle fait valider le projet et un budget officiel par sa direction et son inspection. De plus, Clotsinde souhaite avoir les coudées franches pour ne pas être limitée à la discipline qu’elle enseigne : « je refuse le carcan de la matière, je raisonne par projet ». Cette demande sera aussi validée. Cette expérience démontre pleinement que borner son projet dès le départ et en faire les demandes officielles permettent de s’installer confortablement dans sa mise en œuvre.
Autre écueil à éviter : il ne s’agit pas que les propositions viennent unilatéralement de Clotsinde et de ses élèves et s’appliquent verticalement aux autres acteurs de l’établissement. Les porteurs de projet doivent être « au cœur d’un projet collaboratif et inclusif ». Ainsi germe l’idée de la charte : chacun évoluant dans la structure s’engage à mener des actions dépendant de son champ d’actions. « Nous sommes allés voir chaque parti en leur proposant de trouver des voies où ils décident de s’engager. » Ainsi, le chef des travaux, en charge des ateliers, a défini diverses zones de stockage et responsabilise les usagers autour du matériel réutilisable, des chutes, etc. De son côté, le CPE s’engage à généraliser le tri sur l’établissement, notamment au niveau de l’internat. Quant au proviseur, il a banni l’utilisation de son véhicule pour circuler entre les bâtiments de la cité scolaire et effectue tous les trajets à pied. Également, il a engagé une réflexion pour éviter la redondance papier / numérique dans la communication de l’établissement. Le gestionnaire de l’établissement et les familles seront aussi impliqués dans cette démarche notamment dans le cadre de l’élaboration d’un « cartable vert ». Enfin, et au premier plan, les élèves sont invités à gagner en responsabilité : gestes écocitoyens, gestion de leurs supports et surtout propositions d’améliorations.
Nous le comprenons aisément, par cette démarche inclusive, Clotsinde cherche à impliquer, responsabiliser et surtout à ne pas tout porter sur ces épaules. Elle sait pertinemment par l’observation d’expériences passées que le risque est double. Premièrement, risquer que tout s’arrête si elle devait quitter l’établissement. Deuxièmement, risquer l’épuisement et l’isolement.
« Ça leur appartient, ça ne m’appartient plus ! »
Le projet prend forme rapidement grâce à une temporalité régulière d’échanges, des outils spécifiques dédiés dont une boite mail et surtout à une ambition partagée. Ce sont les élèves qui sont au cœur des processus de rédaction puis qui soumettent les textes aux différents signataires.
La méthodologie est efficace : les élèves sont invités à prendre conscience d’une problématique, à observer, échanger puis proposer les solutions envisageables. Tout cela favorise l’autonomie des élèves, surtout quand ils disposent des ateliers pour concevoir eux-mêmes des éléments de réponse. Le rôle de l’accompagnant est donc de favoriser les occasions, de créer les situations de rencontre avec ces problématiques. Puis vient l’équilibre subtil quant à « savoir lâcher prise au bon moment quand la situation est suffisamment amorcée pour aller à son terme ».
La charte et le projet lié sont à ce jour en place ; la classe écocitoyenne en est au milieu de sa mission, elle communique sur son travail via un compte Instagram « classeecocitoyenne » par la mise en place de publications écrites collaborativement. D’autres collègues enseignants sont entrés sur le projet pour assurer la cohérence entre les différents niveaux de classe : depuis ce début d’année, un autre collègue dispose d’une heure de classe écocitoyenne avec la classe de seconde entrante. Cette nouvelle classe a un autre fonctionnement complémentaire. Elle refait un nouvel état des lieux afin d’apporter de nouvelles idées et d’améliorer d’autres domaines non travaillés comme la cantine de la cité scolaire.
Le lycée a été labellisé niveau 2 E3D par le rectorat de l’académie de Besançon et un comité de pilotage a été mis en place en décembre 2020 avec les différents acteurs de l’établissement, élèves inclus. Et si les projets de l’année passée ont été ralentis à cause de la situation sanitaire, c’est reparti pour cette année !
Des bilans réguliers permettent de mesurer le chemin accompli. Parmi les actions engagées, notons…
- Journée de ramassage de déchets en collaboration avec la mairie de Saint-Amour (septembre 2020)
- Evolution des poubelles de tri dans l’établissement et cendriers (en cours)
- Partenariat avec Monsieur Savon, savonnier de Saint-Amour, afin de fabriquer son savon soi-même et réfléchir à l’impact des emballages (en cours)
- Travail sur le recyclage du papier (fait et d’autres perspective sont envisagées)
D’un point de vue enseignant, utilisation des crayons gras pour tableaux blancs pour tous depuis plus d’un an, réorganisation des documents distribués afin de limiter les pertes et diminution des photocopies dans l’établissement.
Un petit mot avant de se quitter ?
« J’aimerais transformer le lycée et que ça se voit, les élèves aussi d’ailleurs », Clotsinde veut aller plus loin… et les perspectives sont en effet nombreuses ! Atelier papier recyclé avec l’école primaire de Saint-Amour pour la fin d’année, visite du centre de tri, faire évoluer les visuels de recyclage qui sont peu parlants pour les élèves, collaborer avec des agriculteurs, faire venir des animaux « en résidence » pour la tonte des pelouses de l’établissement, etc.
Mais vous l’aurez compris, notre collègue souhaite avant tout « éviter que tout soit tracé et quadrillé ». Ce projet qu’elle a insufflé et qu’elle suit avec autant de passion que de responsabilité professionnelle n’est plus le sien ; il appartient à l’ensemble de la communauté éducative et c’est bien là l’essentiel. Chacun de ses acteurs, élèves ou encadrants, s’est engagé pour contribuer selon ses possibilités à préserver l’environnement. Dans la micro-société que constitue ce lycée, les (futurs) écocitoyens font preuve de cohérence, de résilience, d’autonomie, de sens pratique et collectif pour résoudre les défis qui se présentent à eux.
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Nota : Vous pouvez retrouver Clotsinde Perrot sur notre groupe Facebook pour échanger et lui poser vos questions en direct mais aussi dans cette émission de la Terre au Carré sur France Inter (de la 30ème à la 36ème minute).