Dehors poussent les haïkus !
Temps de lecture : 5 minutes
[Ecole du dehors] est une initiative lancée par le réseau Profs en transition dont l’objectif est de faciliter la pratique de la classe en extérieur et la reconnexion de nos élèves à leurs écosystèmes de proximité. Retrouvez cette initiative sur les réseaux sociaux via le #ecoledehors
Asseyez vous confortablement, oubliez un instant ce flot incessant de néologismes, d’oxymores sanitaires et rappelons nous plutôt ce moment suspendu où, subjugués, nous avons pu contempler la vie animale se réapproprier nos quartiers. Remémorons-nous cette pause apaisante dans le bourdonnement de nos sociétés et dans laquelle nous avions redécouvert ces paysages sonores jusqu’alors parasités.
Ce projet est une invitation. Une invitation à rebondir pour prolonger avec nos élèves cette bulle admirative au travers d’un voyage poétique, qui, pour les plus grands, conduira peut-être à repenser la place de l’homme avec son environnement.
Alors allons-y, partons faire bourgeonner nos imaginaires et jaillir le plaisir de la contemplation du vivant. Laissons-nous porter par l’invitation saisonnière du réveil de la nature pour partir à la rencontre d’un langage universel : celui de la poésie.
Tout en cultivant nos sens, sublimons l’une de ses formes si particulières. Ce jeu de langage très court, articulé autour de ses 3 vers, qui nous invite à cultiver l’admiration de l’évanescence des choses. Son nom est à lui seul une promesse d’évasion : l’Haïku.
Alors chers Profs en transition, le printemps arrive et nous invite déjà à conjuguer plaisir du genre poétique et imprégnation de nos élèves à leur environnement naturel proche. Multiplions les façons d’aborder la poésie et renouvelons nos pratiques autour de ce genre poétique. Faisons coïncider apprentissage et bien-être de nos apprentis poètes avec l’expérience sensorielle du réveil de la nature et la découverte de la mécanique créatrice de cet art ancestral.
Vers l’haïku: proposition de voyage pédagogique
Pour débuter ce voyage, parcourons, avec nos élèves, le monde des genres poétiques. L’objectif de cette première séance est de faire découvrir ou redécouvrir les différents genres poétiques et recréer du lien avec cette littérature.
En classe, dans un coin de pelouse, sous un arbre, ou dans une bibliothèque (en co-éducation avec le personnel), rassemblons des recueils, des albums de poésie ou tout autre support poétique. Offrons leur un petit temps de lecture offerte silencieuse. Chacun sera ensuite invité à choisir un poème et à en partager ensuite ses impressions. C’est l’occasion de synthétiser le choix des élèves et d’évoquer le plaisir personnel qu’offre cette forme littéraire et sa grande diversité.
“La poésie, on ne sait pas ce que c’est, mais on la reconnaît quand on la rencontre”
Jean L’Anselme
Essayons ensuite d’entrer dans ce qui caractérise l’Haïku: capturer un instant du vivant et exprimer les émotions qu’il génère. Pour cela, nous essaierons, sur une ou plusieurs séances et dans un environnement naturel, de saisir un instant de cette vie aussi discrète que riche. Répartir, dans le lieu, les élèves pour leur permettre de reconsidérer ce qui nous entoure. Ce temps d’immersion individuel et silencieux est nécessaire pour éveiller leurs perceptions et activer tous leurs sens. Concentrons nous sur l’ouïe (par une écoute attentive du paysage sonore en premier plan, en arrière plan, orientation sonore), l’odorat (percevoir les nuances olfactives, les parfums), le toucher (seul ou en combinaison d’autres sens), la vue en dernier lieu, pour privilégier l’étude des autres sens (observation fine et progressivement plus large ou l’inverse).
Dans ce retour aux sens primaires, à notre condition animale sensible, nous prendrons également un temps nécessaire pour activer les souvenirs personnels, développer la proprioception (Lien: le secret du lien) et sa mise en mot. En effet l’art poétique et plus particulièrement l’haïku est une invitation à mettre des mots sur ses sentiments ou les émotions ressenties en l’instant.
Allongés dans l’herbe, les mains en contact avec le sol, ou simplement au calme, profitons de ce retour à soi pour proposer un temps d’écoute: une lecture expressive, par un adulte, des haïkus d’un des quatre maîtres classiques du haïku japonais comme Matsuo Basho.
Cet art ne se laissera dévoiler qu’en jouant sur la tonalité, le débit et volume de la voix et une compréhension des références culturelles telles que les idéogrammes. Nous aiderons nos élèves à mettre progressivement en évidence les procédés d’écriture en identifiant notamment les premiers éléments sémantiques autour de la nature, des saisons et l’expression de ces émotions.
Sur d’autres moments, une analyse plus fine de quelques haïkus produits par le légendaire poète et calligraphe japonais Ryokan devrait permettre de connaître les caractéristiques principales du genre poétique. Très esthétiquement mis en valeur dans le magnifique album « Sous la lune poussent les Haïkus » nous pourrons étudier sa mise en page, dériver sur l’étude de la langue: temps, analyse grammaticale, présence ou non de verbe dans chaque vers, rechercher des champs lexicaux et essayer, plus largement, de dégager l’intention de l’auteur, la relation de l’homme à la nature, son aptitude à utiliser le langage pour dire le monde.
Accompagnez ensuite vos prochaines sorties d’un appareil photo. C’est un outil intéressant pour cueillir des instants de leurs observations et les réinvestir plus tard. Un bloc note ou un support écrit est également conseillé pour leur permettre de noter et conserver la mémoire de leurs contemplations et de leurs émotions. En effet, pour mobiliser leurs connaissances de cet art et initier le processus de création poétique, les élèves seront amenés une nouvelle fois à déambuler silencieusement, seuls ou en binômes (tutorat), dans un coin de nature. A nouveau, tous leurs sens seront en éveil pour interpréter et mettre en mots ces observations sensibles.
Vient ensuite le moment parfois difficile pour nos élèves où l’on cherche à donner vie au langage dans le langage: en jouant avec le lexique, leurs dérivations, tout en y intégrant les émotions ressenties. Il est en général nécessaire de proposer une aide sur des temps de classe et des modalités différentes, en collectif, en plus petits groupes, seuls ou en binômes, pour créer ces associations d’idées. Quelques jeux collectifs à l’oral ou avec des supports tels que les cartes du célèbre jeu Dixit devraient permettre de stimuler l’association d’idées (les jeux Concept ou Nouvelles contrées).
Encourageons la coopération dans ce travail inhabituel et difficile de création poétique. Elle permet à la fois de réinvestir, par la reformulation aux pairs, le travail effectué en étude de la langue mais également de se jouer des règles d’écriture de la langue et donc prendre plaisir avec toute la liberté que nous offre cet art.
Petit à petit, en alternant temps d’immersion (en prenant soin d’effacer l’environnement classe par l’utilisation de musiques, d’enregistrements de paysages sonores ou directement en extérieur), temps d’écoute et de production ou en mêlant ces variantes, l’élève développera une mécanique créatrice de plus en plus subtile et sensible par l’attention portée à ses sens et à leur transcription par écrit. Pour prolonger et varier le plaisir, voici une variante proposée par certains Profs Doc à leurs élèves de lycée: la haïku’verture. L’objectif est de créer un haïku avec les titres de 3 livres. Une nouvelle occasion de retourner dans votre bibliothèque/médiathèque ou centre de documentation.
Enfin pour finir, n’oublions pas de partager nos productions: accrochées sous un arbre de la cour de récréation, sous un poémier fabriqué en arts-plastique, dans un couloir, en lecture offerte à des passants, ou en organisant un temps de lecture auprès des personnes âgées… Quelle que soit la forme, donnons-les à lire.
Photo : lewebpedagogique.com
Dans le cadre du printemps des poètes, le CLER (Réseau pour la transition énergetique), en partenariat avec Grand-parents pour le climat, a crée un concours : un haïku pour le climat. Cette 8ème édition aura pour thème la sobriété énergétique.
« Le haïku est un moyen sobre, efficace et inépuisable pour porter des messages » ainsi que l’affirme Paul Neau, membre de la compagnie des négaWatts, haïkiste et membre du jury du concours depuis sa première édition.
Vous l’aurez compris, il vous appartient maintenant de modeler selon vos envies et vos aspirations ce parcours pédagogique.
En revanche, pour ce qui est d’élargir la réflexion sur la relation de l’homme avec son environnement, il me semble important de laisser infuser le paysage culturel japonais plus longuement auprès de nos élèves.
Extension du paysage culturel japonais
Hormis les généralités géographiques et historiques principales, c’est sous l’angle de leur religion polythéiste qu’il est intéressant d’ouvrir une nouvelle fenêtre culturelle.
« Le Shintoïsme » est la plus ancienne religion du Japon. On la traduit généralement par « La voie des Dieux ». Les kamis y incarnent des divinités, des esprits représentés sous la forme des éléments : eau, ciel, terre, minéraux et plus largement tout le vivant : animaux, végétaux.
La nature y occupe une place centrale et sacrée, crainte autant que respectée et placée au dessus de tout. L’homme y retrouve sa place géologique et biologique en n’étant qu’un simple élément d’un grand ensemble. Un animisme qui invite à contempler, respecter, imaginer et qui, loin de notre philosophie occidentale, apprend à habiter autrement le monde.
Cette culture des forces de la nature reste aujourd’hui très populaire et vivante au travers des traditions japonaises. Il est donc intéressant d’étendre le projet poétique dans un cadre culturel plus large dont nous voyons ici se dessiner quelques pistes (géographiques, historiques, en littérature, en éducation morale et civique) et en voici quelques autres:
Les contes et légendes adaptés de la mythologie Japonaise seront une aide précieuse, pour mieux essayer d’en comprendre ses us et coutumes et captiver les élèves autour des grandes questions que se pose l’homme, faire écho à ses propres vécus, ses relations avec sa famille ou son entourage. Au Japon, c’est traditionnellement sous le même toit que vivent plusieurs générations. La famille y occupe une place centrale. L’ensemble de ces thématiques: spiritualité, nature, mythologie, relations sociales, place de la femme dans la société nippone, sont au cœur des œuvres du grand maître de l’animation Japonaise : Hayao Myasaki. Ses histoires et ses décors sont autant de supports pour développer et enrichir les imaginaires. Une vision du monde particulière à découvir différemment via les podcasts de France culture: Philospher avec Miyazaki
Au-delà des comparaisons culturelles possibles, c’est une formidable passerelle pour les arts visuels ou les arts-plastiques. Reproduction d’idéogrammes, création de visuels des productions poétiques, réalisation d’un paysage japonisant avec ou sans les célèbres cerisiers en fleurs (fête de Sakura), composition par collage pour reproduire la plus célèbre vague scélérate d’Hokusai (à possiblement mettre en lien avec la lecture du livre de François place “Le vieux fou de dessin”), étude des liens entre impressionnisme et paysages japonisants. Autant de possibilités qui laissent une immense liberté à l’emploi de différentes techniques: aquarelle, encre, fabrication de pigments naturels (galle de chêne ou autre), composition par collage avec des éléments naturels glanés lors des sorties.
Regroupés sous l’appellation chiyogami, l’art du pliage papier en volume par la technique de l’origami permet aussi de réinvestir les connaissances et compétences de géométrie, symétrie et de grandeurs et mesures.
Toujours en volume mais aussi décoratif que vivant, les Kokedama, ces boules de mousse sur lesquelles s’épanouissent une plante vous replongeront dans les décors flottants et magiques du château dans le ciel d’Hayao Miyazaki. Elles forment également un magnifique cadeau pour des fêtes éco-responsable. Elles pourraient même être emballées par la technique du Furoshiki et permettre ainsi de développer un volet éco-citoyen en cherchant des alternatives aux emballages à usage unique.
Pour rester dans la thématique de réduction des déchets, nous pouvons construire, avec les plus grands, un métier à tisser, puis procéder au tissage d’un Tawashi (éponge recyclée) qui sera utilisé tout au long de l’année pour les années à venir pour effacer les ardoises.
Avec ce retour au vivant et à la terre, un lien avec la thématique de l’agriculture pourrait être tissé. La philosophie de l’agriculture de Masanobu Fukuoka entre en résonance avec celle de la permaculture, celle de limiter un maximum l’intervention humaine et laisser faire la nature.
Voilà autant de pistes, de trajectoires qui s’ouvrent à vous pour amener vos élèves à s’évader vers le levant, à se plonger dans une culture dépaysante et profondément enracinée dans le vivant. Un projet pensé pour faciliter l’expérience de l’école du dehors, ré-apprendre à s’émerveiller de la nature et fertiliser les imaginaires de nos élèves.